Les cinq ordonnances Macron ont été ratifiées par les députés en première lecture le 28 novembre 2017 apportant quelques ajustements qui ne modifient pas l’économie du projet, les mesures sont pour la plus part entrées en vigueur à ce jour, après la publication de plusieurs décrets en décembre dernier.
Quel impact en matière de rupture du contrat de travail ?
– Le barème obligatoire
Mesure emblématique des ordonnances Macron, qui a fait couler beaucoup d’encre, l’article 2-2° de l’ordonnance 2017-1387 du 22/09/2017 relatif à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail met en place un barème obligatoire pour les juges accordant de dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La barémisation des indemnités avait déjà été prévue par la loi 2015-990 du 6 aout 2015 (loi Macron) mais le dispositif prévoyant de plafonner l’indemnisation en fonction de l’effectif de l’entreprise avait été censuré par le conseil constitutionnel en raison des modalités retenus à l’époque par le législateur suivant la taille de l’entreprise et non sur le principe de la barémisation des indemnités.
Un recours porté par les syndicats pour annulation de cette ordonnance est actuellement en cours devant le conseil d’Etat qui pourrait annuler l’ordonnance sur l’application directe de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée qui reconnait le « droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée »interprété par le comité européen des droits sociaux comme le droit à une réparation intégrale (décision du 8/09/2016 contre la barémisation des indemnités de la législation finlandaise).
Le nouveau barème issu de l’ordonnance 2017-1387 utilise à nouveau le critère de l’effectif mais seulement pour fixer un plancher d’indemnisation les dix premières années, le barème fixant des minimas et des maximas d’indemnisation en fonction de l’ancienneté du salarié.
En attendant les éventuels recours devant le conseil constitutionnel sur la loi d’habilitation lorsqu’elle sera définitivement adopté ou recours devant les instances européennes, ce barème s’impose de façon obligatoire aux juges amenés à se prononcer sur la cause réelle et sérieuse d’un licenciement notifié depuis le 24 septembre dernier.
Le barème s’applique également lorsque le juge est amené à se prononcer sur les prise d’actes ou demandes de résiliation du contrat de travail jugées au torts de l’employeur.
La liberté du juge est donc encadrée, le juge conservant la liberté d’apprécier dans ces limites le préjudice subi par le salarié en fonction de son age de ses difficultés à retrouver un emploi, mais aussi de l’indemnité de licenciement si celle-ci dépasse l’indemnité légale (modification issue de la loi d’habilitation du 28/11/2017).
On notera que ce barème est moins favorable que l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par l’ancien article L1235-3 du code du travail dans une entreprise de plus de 11 salariés pour un salarié ayant deux ans d’ancienneté (on passe de 6 mois à 3 mois minimum).
Dans les petites entreprises (moins de 11 ) il n’existait aucun minimum, ni maximum le salarié étant indemnisé en fonction du préjudice subi.
Reste à savoir comment les juges se positionneront dans ce barème (plutôt les maximums ?) ce qui est encore trop tôt pour le dire.
Les entreprises elles, peuvent évaluer plus facilement le risque prudhommal , ce qui était le but affiché du gouvernement pour « sécuriser les relations de travail » et attirer les investisseurs étrangers.
Cependant le barème n’est toutefois pas applicable lorsque le licenciement sera déclaré nul pour des faits lié à la violation d’une liberté fondamentale, à un motif de harcèlement, un motif discriminatoire ou lié à l’exercice d’un mandat ou le non respect d’une disposition législative protectrice du salarié (maternité , accident du travail).
Le salarié, qui ne souhaite pas être réintégré dans l’entreprise, pourra alors prétendre à une indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires des six derniers mois outre le salaire perçu pendant la période couverte par la nullité et l’indemnité de licenciement, et ce sans plafond maximal, ce qui peut nous permettre de penser que les conseils des salariés orienteront leur contentieux en ce sens pour échapper au barème.
Quoiqu’il en soit les ordonnances Macron vont dans le sens d’une régulation des règles d’indemnisation en cas de contentieux plutôt à la baisse dans le but de réduire les contentieux, ce qui est déjà constaté en pratique en nombre de saisine du conseil des prudhommes à Grenoble.
– Réforme de la sanction des irrégularités de procédure
Ainsi l’ordonnance 2017-1387 réforme également les règles d’indemnisation des irrégularités de procédure liées aux règles de convocation, de déroulement et assistance du salarié à l’entretien préalable mais aussi du respect statutaire ou conventionnelle de la consultation d’une instance préalablement au licenciement.
Dorénavant quelque soit l’effectif de l’entreprise et l’ancienneté du salarié, l’irrégularité de procédure est sanctionnée par une indemnité d’un mois de salaire but maximum ( L1235-2 al5 du code du travail).
Cette indemnité se cumulera avec les dommages et intérêts mais dans la limite du barème maximal en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’ordonnance modifie également à la baisse des sanctions spécifiques prévues par les textes en matière de licenciement économique notamment ou de violation de statut protection des victimes d’accident du travail (article L1235-3-1).
– Modification du délai de contestation du licenciement
Ce délai passe de 24 mois à 12 mois (article 1471-1) et devra être indiqué dans la lettre de licenciement. Ne sont pas concernés par ce délai les demandes de réparation de dommages corporels dus au travail, les actions liées au paiement de salaires et en matière de discrimination et harcèlement.
– Calcul de l’indemnité légale de licenciement plus avantageux pour les salariés
Le calcul de l’indemnité légale de licenciement a été modifié également depuis le 24/09/2017 quant à l’ancienneté abaissée à 8 mois pour en bénéficier, et au mode de calcul pour les dix premières années ( de 0.2 à 0.25 mois de salaire par année d’ancienneté). L’employeur devra donc comparer avec l’indemnité conventionnelle de licencier et appliquer le plus avantageux.
– Aménagement de la motivation du licenciement en faveur des employeurs
L’article 4 de l’ordonnance 2017-1387 constitue une rupture par rapport à la jurisprudence traditionnelle sur l’obligation de motivation de la lettre de licenciement pour motifs économiques ou personnels, la lettre de licenciement fixant les limites du litige (ainsi en cas de motif imprécis, le licenciement était considéré ipso facto comme sans cause réelle et sérieuse).
L’employeur va pouvoir dorénavant compléter sa motivation dans le délai de 15 jours après la notification de son licenciement.. c’est donc un « droit à réparation de son erreur » qui est applicable depuis la publication le 18/12/2017 du décret n° 2017-1702 du 15/12/2017., voulu par le législateur notamment pour aider les petites entreprises ..
Mais attention compléter la motivation de la lettre de licenciement ne veut pas dire ajouter de nouveaux motifs..
Dispositif piégeux de part et d’autre car le salarié peut aussi de sa propre initiative dans le délai de 15 jours demander à l’employeur par lettre R avec AR ou remise ne mains propres de préciser les motifs.
S’il ne le fait pas, l’irrégularité constituée par une insuffisance de motifs ne privera pas à elle seule le licenciement de cause réelle et sérieuse et la réparation sera traitée comme une irrégularité de procédure donc limitée à un mois de salaire.
On peut penser que les salariés vont systématiquement demander un complément d’explication, ce à quoi les employeurs vont se sentir obligé de répondre de façon plus ou moins pertinente bien que les textes ne les obligent pas à répondre s’ils estiment la lettre suffisamment motivée.
La publication de différents modèles types de lettre de licenciements parus au décret n° 2017-1820 du 29/12/2017 va dans le même sens afin que les employeurs ne commettent pas d’ erreurs de procédure susceptibles d’entrainer des condamnations à des dommages et intérêts malgré leur bonne foi.
Cependant comment les juges prudhommaux vont se trouver confrontés à apprécier la validité des lettres types de licenciement.. quid si ces modèles sont correctement remplis ? et l’appréciation sera-t-elle différente suivant que l’employeur a utilisé ou non ces modèles ?
On peut penser que les juges ne vont pas abandonner leur pouvoir de contrôle sur la motivation du licenciement ce qui laisse encore planer des incertitudes pour les employeurs rédacteurs de lettre de licenciement.
Le gouvernement doit remettre au parlement un rapport d’évaluation précise de l’ effet des ordonnances pour le 15 mars 2019 et de l’impact des mesures prises sur la compétitivité des très petites, petites et moyennes entreprises. On sera mieux à même alors, avec du recul, de juger de l’efficacité de ces réformes qui bouleversent notre droit du travail sur d’autres champs également que la rupture du contrat de travail.