Le harcèlement sexuel au travail : les employeurs en première ligne

par | Juil 2, 2021

Le harcèlement sexuel est encore très présent au travail : 30 % des Françaises disent avoir déjà été harcelées ou agressées sexuellement sur leur lieu de travail.
Selon une étude de la Fondation Jean Jaurès menée en 2019, cette proportion n’aurait pas diminué depuis 1991, date à laquelle on recensait 19 % de victimes de telles pratiques.
Des mouvements récents, tels que #MeToo et sa déclinaison française #BalanceTonPorc, ont contribué depuis 2017 à libérer la parole des femmes et à mettre en lumière l’ampleur du phénomène.

Libération de la parole confirmée récemment par la Cour d’appel de Paris le 31 mars 2021.Ainsi Sandra Muller, l’initiatrice de l’hashtag emblématique condamné pour diffamation suite à son fameux tweet contre son ex patron Eric Brion, vient d’être relaxée par la Cour au motif que « le prononcé d’une condamnation, même seulement civile, porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et serait de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté ».

La législation française ainsi que la jurisprudence évoluent sur le sujet (I) mais en entreprise il revient aux employeurs d’évaluer les risques en matière de harcèlement sexuel (II), et de mettre en place des actions de prévention (III)

I – L’ARSENAL LÉGISLATIF DU HARCÈLEMENT SEXUEL : FAUTE CIVILE ET INFRACTION PÉNALE
Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui :

  •  soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant ;
  • soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
    Est encore assimilé au harcèlement sexuel toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuel , que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.
    Code du travail, article L.1153-1

Le harcèlement peut être caractérisé avec ou sans relation hiérarchique, homme ou femme et même avec des tiers à l’entreprise.

L’article L1154-1 du code du travail facilite la charge de la preuve : ainsi depuis la loi Travail du 8 aout 2016, celui qui s’estime victime (salarié/candidat à l’emploi/ stagiaire..) doit présenter au juge des éléments de faits laissant supposer l’existence du harcèlement (preuve par faisceau d’indices : mail, sms, témoignages, certificats médicaux..).

La preuve n’est pas pour autant aisée surtout lorsqu’il est opposé aux victimes un refus de leur enregistrement clandestin.
Le défenseur des droits s’est positionné en 2018 favorablement sur l’utilisation des enregistrements clandestins. La Jurisprudence évolue récemment en ce sens admettant ce mode de preuve au pénal.
Un arrêt récent du conseil d’Etat du 21 juin 2019, a confirmé la décision d’une commission d’appel en matière disciplinaire au sein de d’Université sur la validité de l’utilisation d’enregistrements clandestins réalisés par une doctorante pour prouver les agissements de son directeur de thèse.
En droit du travail privé, un arrêt récent de la chambre sociale de la Cour de cassation du 17 mars 2021 n° 18-25.597 en matière de preuve pour harcèlement moral pourrait peut-être transposé au harcèlement sexuel.
« Ne constitue pas une preuve déloyale, le rapport d’enquête réalisée dans l’entreprise par un organisme extérieur en vue de recueillir des témoignages après que des faits de harcèlement ont été dénoncés, sans que le salarié auquel les faits de harcèlement sont imputés n’en ait pas été préalablement informé, ni n’ait été entendu dans ce cadre. »

La définition de l’incrimination du harcèlement sexuel par le Code pénal est plus large que celle du droit du travail, mais suppose des actes répétés :« le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (C. pén., art. 222-33, al. 1).

Si en matière pénale c’est le seul auteur de l’infraction qui sera poursuivi, il a été mis en avant la notion de « harcèlement sexuel managérial » pour permettre de poursuivre devant les tribunaux d’autres responsables indirects.
Ainsi la presse s’est faite l’écho fin 2020 de la dénonciation par des salariés du groupe Mac Donald de faits de « harcèlement sexuel systématique » avec d’une plainte devant l’OCDE.
Ils dénoncent aussi « l’absence de prise en compte adéquate de ces problèmes, par la direction et les services de ressources humaines »

II- LA RESPONSABILITÉ CIVILE DES EMPLOYEURS
L’employeur-personne morale engage sa responsabilité civile en cas de reconnaissance par les juges d’un harcèlement sexuel commis dans son entreprise

  • soit directement par la violation des obligations à l’obligation de sécurité qui lui incombe (C. trav., art. L. 4112-1 et L. 4112-2)
  • soit en tant que commettant à l’égard du salarié auteur des faits, ce dernier pouvant être condamné in solidum avec l’employeur

Les conséquences peuvent être lourdes pour l’entreprise qui peut se voir condamner à indemniser le salarié par des dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité, mais aussi voir la rupture du contrat requalifié en licenciement nul.

L’employeur doit donc être pro actif dans le domaine et doit tout mettre en œuvre pour faire pour prévenir ou faire cesser une telle situation (C. trav., art. L. 1153-5).
Face à une situation de harcèlement sexuel, l’employeur doit faire preuve d’une tolérance zéro. Il doit prendre les choses en main : protéger et accompagner la victime, diligenter une enquête interne, éventuellement prendre des mesures conservatoires, et sanctionner si les faits sont avérés, et enfin communiquer auprès des autres collaborateurs.
Néanmoins, il peut s’exonérer de sa responsabilité en justifiant avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail (il est tenu selon la jurisprudence récente d’une obligation de moyen renforcée).

Reste avant tout à mettre en œuvre une politique de prévention du risque de harcèlement sexuel et comportements sexistes dans l’entreprise qui passe par la sensibilisation et la formation des managers à ces questions.

III – LES MOYENS DE LUTTE CONTRE LE HARCÈLEMENT SEXUEL
l’employeur doit mettre en place une politique de prévention avec :

  • Informations à porter à la connaissance des salariés sur les lieux de travail de l’article 222-33 du code pénal ainsi que des actions contentieuses civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel et les coordonnées des autorités et services compétents
  • Mise à jour du règlement intérieur.
  • Procédure interne de signalement et de traitement de faits de harcèlement sexuel doit être prévue par l’employeur (Accord national interprofessionnel (ANI) du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail -article 3)
  • Mise en place d’un référent dans les entreprises de plus de 250 salariés « chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes » (article L 1153-5-1 du Code du travail).
  • Impliquer les représentants du personnel, et services de santé au travail

Le Défenseur des droits a publié le 25 novembre 2020 un livret dont l’objectif est de guider et d’outiller les employeurs dans ce domaine https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/communique-de-presse/2020/11/harcelement-sexuel-au-travail-un-livret-pour-accompagner-les-formateurs

Il existe beaucoup d’outils à disposition des DRH ou des Référents Harcèlement, pour se former et former les managers afin de les sensibiliser, séances de formation, ateliers de brainstorming ludiques, webinaires…S’ils sont bien formés sur le sujet, les managers peuvent détecter et reconnaître, au sein de leurs équipes, les situations à risques bien plus rapidement.
En conclusion l’actualité récente et l’utilisation massive des réseaux sociaux démontrent que les employeurs doivent se saisir du sujet sans plus attendre !